samedi 16 mai 2015

Conseil lecture : Ma blessure de guerre invisible - Sylvain FAVIERE


S. FAVIERE, Ma Blessure de Guerre Invisible, Esprit Com', 2013, 150 p. 

Qu'il s'agisse de RFI, du Figaro, de La Croix et de bien d'autre, l'actualité bouillante titrait récemment le malaise au sein des armées face aux statistiques tombés récemment concernant les militaires récemment rentrés d'OPEX et tout particulièrement de RCA.

Aussi, et afin de mettre l'actualité bouillante en lumière de mes récentes lectures, me permets-je que de vous conseiller le superbe livre de Sylvain FAVIERE, Ma blessure de guerre invisible. 

Il s'agit là d'un témoignage d'un de ces "traumatisés", l'adjudant FAVIERE, ayant participé à l' "OPEX des OPEX", celle d'Afghanistan. Loin de tomber dans le misérabilisme, l'auteur nous conte son histoire sans faux-semblant ni fare. C'est l'histoire d'un militaire parmi les militaires. Et c'est bien cela qui en fait la beauté. Cette histoire beaucoup pourrait sans doute nous la conter...

Humilité, confidence et sensibilité en sont les maîtres mots. Un ouvrage fort intéressant qui nous rappelle que la guerre reste "vilaine", qu'en outre des corps, ce sont des "esprits", des familles, en somme, des vies qui y basculent et ce, qu'ils s'agissent "des vaincus où des vainqueurs" (rhétorique fortuite s'il en est....). 

Un témoignage véritablement poignant qui nous rappelle que, derrière les chiffres, existent bel et bien des hommes, qui consacrent leurs vies à notre pays et qui, par cet acte de bravoure, en gardent, souvent des stigmates jusqu'à leur dernier souffle.

Quelques extraits pour vous permettre d'en appréhender la teneur :

"Parce que bien que frères d’armes, bien qu’unis par ces missions et ce métier si particulier, bien que tous rattachés à cette « grande famille », nous restions un être unique, un être humain sensible à ce qui l’entoure, à ce qu’il vit et à ce qu’il voit. Entre exaltation et quiétude, camaraderie et confiance, fatigue et inquiétude, chacun allait vivre sa mission. Et ce avec ses différences. Que l’on soit officier, sous-officier ou militaire du rang, les conflits armés n’épargnent personne. Mais que provoquent-ils ? Aguerrissement du combattant ou fragilisation du soldat ? Avec un peu de recul, les témoignages de mes camarades et mon expériences personnelle, je peux aujourd’hui mieux comprendre et décrire les différents états psychologiques que peuvent ressentir les soldats français ayant participé à cette mission un peu particulière, à ses débuts en tous cas…"

"Risquer sa vie pour préserver celle des autres était une cause noble à mon sens. Honneur, fierté, sentiment du devoir accompli, aider son prochain, servir les valeurs de la République ? Des mots forts, présomptueux pour certains, mais tellement vrais pour moi, engagé par conviction et vocation, il y a de cela 19 ans."

"Le plus réconfortant pour le soldat, esseulé parfois dans de longues journées de garde et de veille, était le courrier. Que la forme fut papier, électronique, colis, elle était une barre d’énergie à assimilation rapide. Un parent, un ami… peu importait, pourvu que quelqu’un pensât à votre petite personne au milieu de cet Afghanistan sec et hostile. Une lettre vous réchauffait le cœur et vous redonnait la volonté de repartir pour les mois restants."

" Parfois trop courts, ces moments de quiétude étaient nécessaires au soldat pour cicatriser les petites plaies ouvertes durant les longs moments dans les zones de conflits. Ils étaient une phase de reconstruction du combattant. J’expliquais souvent dans des cours de secours au combat que le soldat avait un potentiel-nerfs à sa disposition. Ces nerfs s’amenuisaient à mesure des agressions qu’il subissait. Et si l’on voulait que le combattant soit optimum, il devait préserver son capital-nerfs en le laissant se régénérer. Un combattant serein, quiet, est un combattant qui peut retourner s’exposer, accomplir sa mission."

"Le risque de mort était sous chaque route, derrière chaque baraquement, sur chaque colline. Nul lieu n’était sur. La mort rôdait en Afghanistan, chaque jour, emportant un soldat défenseur de la paix dans le monde. Profiter de la vie militaire, se construire une identité au sein d’une collectivité permettait au soldat de se réaliser. S’aguerrir, se maîtriser, le faisaient devenir un combattant. Les agressions physiques subies par nos organismes étaient intenses, mais de courtes durée, et surtout ne laissaient que peu de cicatrice. Mais dans ce conflit d’un nouveau genre, nous n’étions pas si bien armés. Habitués pour la plupart d’entre nous à des missions de maintien de l’ordre à travers le monde, notre génération d’anciens allait découvrir la réalité de la guerre menée par les talibans, pour la première fois."

"L’état de stress post-traumatique de guerre était une blessure que certain soldat pouvait rapporter après une opération extérieure. Appelée autrefois névrose post-traumatique, elle avait fait son apparition, ou plutôt elle avait connu ses lettres d’or après la guerre du Viet Nam, concernant les soldats américains. Dans un monde plus moderne, les évènements somaliens avaient fait connaître aux soldats français une recrudescence des troubles psychologiques liés aux travaux effectués sur des charniers de cadavres…"

"Notre ressentiment à tous était un manque de connaissance des intérêts français de la part de nos concitoyens en France. Cela nous blessait, nous avions le sentiment d’avoir combattu pour rien, sachant qu’au fond de nous ce ne l’était pas. L’idée que des français étaient contre notre présence en Afghanistan nous touchait au cœur. C’était général. Le psychiatre avait pris note. Il nous avait orienté surtout sur le fait de ne pas submerger nos familles en rentrant. Il voulait dire qu’il ne fallait pas bouleverser les habitudes de la famille qui avait vécu 6 mois sans nous, voire plus en comptant les mois de préparation."

"Alors je me suis isolé chez moi. Mon épouse et mes filles poursuivaient leur rythme de vie. Elles avaient à faire. Je ne voulais pas les perturber, je n’avais rien à faire de mon côté. Je regardais la télé, découvrant le nouveau format des émissions. J’allais faire un footing tous les deux jours, péniblement, car j’avais un peu perdu ma condition physique. Je me rendais souvent au supermarché, en guise de promenade et de divertissement. J’allais voir les nouveautés au cinéma. Souvent seul, toujours seul, je parlais peu, je n’échangeais pas avec grand monde."


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