Un ouvrage posant de bonnes questions !
Titre aguicheur, racoleur, diront certains, la formule est
aisé, la rhétorique, rodée, le marketing, clairement pensé. Le titre, comme le
sous-titre d’ailleurs (« Le cri de
colère d’Alain Bentolila ») est explicite, son contenu n’y déroge pas.
Et c’est très bien ainsi.
« Comment sommes-nous devenus si cons ? ».
Dès la première de couverture, l’auteur ne fait pas dans la dentelle. Il laisse
présager un discours « franc du collier », sans faux-semblant ni
détour et, clairement : on en a pour notre argent ! L’auteur dénonce,
critique, accuse même parfois. L’Internet, la télévision, les politiques, les
choix, passés ou présents, faits en termes d’éducation,… tous les
« vecteurs » y passent…
L’auteur pose les bonnes questions. Oui, les jeunes français
établissent un recul culturel, intellectuel diront les plus critiques,
clairement identifié et identifiable. Le « socle des connaissances
communes » ne cesse de s’appauvrir au fur et à mesure que passent les révisions
de programmes, l’esprit critique se perd, l’analyse véritable, celle poussant
au débat raisonné plus que passionné, n’est plus qu’un mirage, en témoigne les
différentes émissions politiques. On le constate sans cesse, que ce soit sur
les plateaux de télévisions, dans les universités ou les soirées autour d’une
bière. Les discours type « café du commerce » y prospèrent, les
formules toutes faites, tirées d’articles pas plus éclairés que leurs auteurs y
règnent en maître. En bref, l’effort de réflexion des français est en chute libre, laissant place à l’instantanéité du
"savoir Internet", non sans être favorisé par l’avènement des smartphones ! Mais
pourquoi ? Quels sont les raisons à ce manque d’effort de réflexion ?
Comment en sommes-nous arrivés là ? Voilà ce que l’auteur nous
promet ! Une réponse à cette question essentielle restant non moins
complexe : « Comment sommes-nous devenus si cons ? » !
Parce que oui : elle est essentielle !
Un argumentaire solidement ficelé.
Et sur ce point, l’auteur ne peut être incriminé. Il répond
clairement à la question qu’il nous pose. Tout son propos s’y attache et
s’organise d’ailleurs aussi simplement qu’efficacement. Chacun des huit
chapitres traitent, à son échelle, selon ses codes, d’un élément de réponse que
souhaite mettre en exergue le professeur de linguistique. Pas de confusion
d’ailleurs, l’on traite là de « connerie » pas de régression
« intellectuelle ». Les français ne sont pas « plus bêtes »
qu’auparavant, juste « plus cons ». La limite restera poreuse pour
certains mais mérite pourtant, à mon humble sens, d’être ici évoquée.
Une réponse qui aurait mérité une certaine modération.
Quoi qu’il en soit l’auteur nous répond ! Ainsi, si la
démarche ne peut être qu’applaudie, la teneur du contenu, elle, peut souffrir certaines
critiques. J’aurais à ce titre personnellement souhaité, une plus grande « modération »
sur certains points d’analyse.
Le propos tient en effet davantage, dans le cadre de
certains chapitres, notamment ceux faisant état de l’usage fait de l’Internet
et de la Télévision, du pamphlet que de l’argumentation. L’auteur dénigre par
exemple sans vergogne aucune, ni même véritable raisonnement logique
d’ailleurs, la « superficialité » des programmes télés, mais la
logique est là que l’homme tient pour nécessité, parfois, que de se divertir
sans pour autant en tirer un quelconque avantage cérébral. Chaque être humain
ne tirant pas satisfaction des mêmes choses, Claude Lévi Strauss l’expliquant
dans Triste Tropique, la
superficialité, au même titre que les activités cérébrales, permet de parvenir
à un certain et impératif équilibre en termes de bien-être.
L’incrimination du jeune réseau social qu’est Facebook sur
son incapacité, « par nature »,
à « forger une intelligence
collective » alors même que l’auteur reconnaît que c’est bien ce même
réseau qui « a [effectivement] permis le succès des révolutions arabes »
est, elle aussi, clairement discutable. De fait, l’avènement de ce type de moyens
de communication étant fondamentalement récent, on ne saurait condamner ce
dernier à ne pas avoir su faire, en moins d’une décennie, ce que des sommets
diplomatiques et autres organisations internationales ne parviennent, elles non
plus, pas à mettre en place depuis près d’un siècle… Des conclusions
définitives aussi hâtives ne peuvent qu’être remises en cause lorsque l’on fait
preuve d’un minimum d’honnêteté intellectuelle.
L’auteur fait ainsi montre, à plusieurs reprises, de partis
pris idéologiques qu’il m’est impossible de taire et que je ne peux en ce sens
accréditer. Ces deux exemples, parmi
bien d’autres d’ailleurs, représentent ainsi autant de symboles, que de
symptômes d’ailleurs, du relatif manque de tolérance dont l’auteur peut faire
montre sur certains sujets. Il apporte ainsi des réponses qui lui sont propres
et personnelles. A chacun, ensuite, de faire le tri et d’y trouver son compte, ce
qui finalement, donne du crédit à sa volonté première : la nécessité que de faire
preuve d’esprit critique. Et c’est bien comme cela que ce livre se doit d’être
lu : comme un recueil de réponses personnelles, subjectives par essence donc,
à ce mal français que l’auteur nous décrit.
Un sujet fondamentalement passionnant et traité de manière très pertinente : le rôle du « religieux ».
Rien ne présageait que l’auteur traite ce sujet avec autant
d’ouverture et de tolérance alors même que, jusque-là, ces deux éléments
semblaient cruellement faire défaut à son jugement. Mais l’affaire est là.
Monsieur Bentolila nous livre une réflexion de très grande qualité, autant sur
la forme que dans le fond, sur le rôle du religieux dans la question qu’il nous
pose. Et c’est là le plus beau chapitre que ce livre nous offre !
Un hymne à la tolérance, voilà ce dont l’auteur nous fait
cadeau ! Un hymne à la tolérance qui devrait être lu par tous, parce que
reflétant, je pense, la réalité du problème français face à l’entrisme du fait
religieux dans la société qui nous est contemporaine. Le sujet est, là aussi,
malgré la difficulté de la tâche, traité de front, avec, on le ressent à la
lecture, une réelle franchise et une véritable honnêteté. Les pages 176, 177 et
178 du livre (« Et le désespoir de
n’être rien conduit à la crédulité imbécile et à la violence aveugle »)
restent ainsi d’une froide fulgurance ! Sincèrement ! Rien que pour
cela, l’ouvrage se doit d’être lu.
A lire ou non ?
En conclusion ? Une expérience de lecture assez
paradoxale mais non sans intérêt. Loin s’en faut. Manquant à mon sens clairement,
pour ne pas dire cruellement, d’ouverture, voire même de tolérance concernant
certains sujets, notamment ceux relatif à l’usage fait d’Internet et de la
télévision, il n’en reste pas moins particulièrement éclairé sur d’autres, à
l’image par exemple, vous l’aurez aisément compris au regard de mon propos, du
dernier chapitre traitant du rôle du « religieux ». En conclusion cet ouvrage
vaut clairement le détour. Parce que, facile d’accès, parce que posant des
questions méritant d’être posées, il vaut d’être lu. Toutefois et nous ne
pouvons d’ailleurs que donner raison à l’auteur, tout ce qui y est écrit ne
doit être lu comme une « vérité universelle ». L’auteur s’indigne sur
le manque d’esprit critique français, sur le manque d’analyse aussi, ainsi, pour lire cet ouvrage est-il nécessaire
que de suivre son bon conseil et d’en faire montre.
En résumé, un ouvrage qui pose de bonnes questions et
apporte certaines « pistes de réponses » plutôt pertinentes… « Pistes
de réponses » parce qu’elles sont, selon moi très personnelles et qu’elles
ne sont partageables, sur certains points, que de manière très discutable.
A. BENTOLILA, Comment sommes-nous devenus si cons, First, 2014, 189 p.
A. BENTOLILA, Comment sommes-nous devenus si cons, First, 2014, 189 p.