samedi 16 mai 2015

Conseil lecture : Ma blessure de guerre invisible - Sylvain FAVIERE


S. FAVIERE, Ma Blessure de Guerre Invisible, Esprit Com', 2013, 150 p. 

Qu'il s'agisse de RFI, du Figaro, de La Croix et de bien d'autre, l'actualité bouillante titrait récemment le malaise au sein des armées face aux statistiques tombés récemment concernant les militaires récemment rentrés d'OPEX et tout particulièrement de RCA.

Aussi, et afin de mettre l'actualité bouillante en lumière de mes récentes lectures, me permets-je que de vous conseiller le superbe livre de Sylvain FAVIERE, Ma blessure de guerre invisible. 

Il s'agit là d'un témoignage d'un de ces "traumatisés", l'adjudant FAVIERE, ayant participé à l' "OPEX des OPEX", celle d'Afghanistan. Loin de tomber dans le misérabilisme, l'auteur nous conte son histoire sans faux-semblant ni fare. C'est l'histoire d'un militaire parmi les militaires. Et c'est bien cela qui en fait la beauté. Cette histoire beaucoup pourrait sans doute nous la conter...

Humilité, confidence et sensibilité en sont les maîtres mots. Un ouvrage fort intéressant qui nous rappelle que la guerre reste "vilaine", qu'en outre des corps, ce sont des "esprits", des familles, en somme, des vies qui y basculent et ce, qu'ils s'agissent "des vaincus où des vainqueurs" (rhétorique fortuite s'il en est....). 

Un témoignage véritablement poignant qui nous rappelle que, derrière les chiffres, existent bel et bien des hommes, qui consacrent leurs vies à notre pays et qui, par cet acte de bravoure, en gardent, souvent des stigmates jusqu'à leur dernier souffle.

Quelques extraits pour vous permettre d'en appréhender la teneur :

"Parce que bien que frères d’armes, bien qu’unis par ces missions et ce métier si particulier, bien que tous rattachés à cette « grande famille », nous restions un être unique, un être humain sensible à ce qui l’entoure, à ce qu’il vit et à ce qu’il voit. Entre exaltation et quiétude, camaraderie et confiance, fatigue et inquiétude, chacun allait vivre sa mission. Et ce avec ses différences. Que l’on soit officier, sous-officier ou militaire du rang, les conflits armés n’épargnent personne. Mais que provoquent-ils ? Aguerrissement du combattant ou fragilisation du soldat ? Avec un peu de recul, les témoignages de mes camarades et mon expériences personnelle, je peux aujourd’hui mieux comprendre et décrire les différents états psychologiques que peuvent ressentir les soldats français ayant participé à cette mission un peu particulière, à ses débuts en tous cas…"

"Risquer sa vie pour préserver celle des autres était une cause noble à mon sens. Honneur, fierté, sentiment du devoir accompli, aider son prochain, servir les valeurs de la République ? Des mots forts, présomptueux pour certains, mais tellement vrais pour moi, engagé par conviction et vocation, il y a de cela 19 ans."

"Le plus réconfortant pour le soldat, esseulé parfois dans de longues journées de garde et de veille, était le courrier. Que la forme fut papier, électronique, colis, elle était une barre d’énergie à assimilation rapide. Un parent, un ami… peu importait, pourvu que quelqu’un pensât à votre petite personne au milieu de cet Afghanistan sec et hostile. Une lettre vous réchauffait le cœur et vous redonnait la volonté de repartir pour les mois restants."

" Parfois trop courts, ces moments de quiétude étaient nécessaires au soldat pour cicatriser les petites plaies ouvertes durant les longs moments dans les zones de conflits. Ils étaient une phase de reconstruction du combattant. J’expliquais souvent dans des cours de secours au combat que le soldat avait un potentiel-nerfs à sa disposition. Ces nerfs s’amenuisaient à mesure des agressions qu’il subissait. Et si l’on voulait que le combattant soit optimum, il devait préserver son capital-nerfs en le laissant se régénérer. Un combattant serein, quiet, est un combattant qui peut retourner s’exposer, accomplir sa mission."

"Le risque de mort était sous chaque route, derrière chaque baraquement, sur chaque colline. Nul lieu n’était sur. La mort rôdait en Afghanistan, chaque jour, emportant un soldat défenseur de la paix dans le monde. Profiter de la vie militaire, se construire une identité au sein d’une collectivité permettait au soldat de se réaliser. S’aguerrir, se maîtriser, le faisaient devenir un combattant. Les agressions physiques subies par nos organismes étaient intenses, mais de courtes durée, et surtout ne laissaient que peu de cicatrice. Mais dans ce conflit d’un nouveau genre, nous n’étions pas si bien armés. Habitués pour la plupart d’entre nous à des missions de maintien de l’ordre à travers le monde, notre génération d’anciens allait découvrir la réalité de la guerre menée par les talibans, pour la première fois."

"L’état de stress post-traumatique de guerre était une blessure que certain soldat pouvait rapporter après une opération extérieure. Appelée autrefois névrose post-traumatique, elle avait fait son apparition, ou plutôt elle avait connu ses lettres d’or après la guerre du Viet Nam, concernant les soldats américains. Dans un monde plus moderne, les évènements somaliens avaient fait connaître aux soldats français une recrudescence des troubles psychologiques liés aux travaux effectués sur des charniers de cadavres…"

"Notre ressentiment à tous était un manque de connaissance des intérêts français de la part de nos concitoyens en France. Cela nous blessait, nous avions le sentiment d’avoir combattu pour rien, sachant qu’au fond de nous ce ne l’était pas. L’idée que des français étaient contre notre présence en Afghanistan nous touchait au cœur. C’était général. Le psychiatre avait pris note. Il nous avait orienté surtout sur le fait de ne pas submerger nos familles en rentrant. Il voulait dire qu’il ne fallait pas bouleverser les habitudes de la famille qui avait vécu 6 mois sans nous, voire plus en comptant les mois de préparation."

"Alors je me suis isolé chez moi. Mon épouse et mes filles poursuivaient leur rythme de vie. Elles avaient à faire. Je ne voulais pas les perturber, je n’avais rien à faire de mon côté. Je regardais la télé, découvrant le nouveau format des émissions. J’allais faire un footing tous les deux jours, péniblement, car j’avais un peu perdu ma condition physique. Je me rendais souvent au supermarché, en guise de promenade et de divertissement. J’allais voir les nouveautés au cinéma. Souvent seul, toujours seul, je parlais peu, je n’échangeais pas avec grand monde."


Sword Art Online 001 – Aincrad – Reki Kawahara

 

Une chronique à chaud.


A l’accoutumé, je préfère laisser passer quelques jours pour écrire les articles concernant mes lectures. De fait, cela permet un certain recul, impératif, selon moi, pour que la critique soit pertinente, face montre d’une relative, mais souhaitée, objectivité. Pour autant, je vais, dans les lignes qui vont suivre, déroger à cette sacro-sainte règle que je me suis fixée (PAS BIEN !).
En effet, je viens à l’instant même de terminer cet ouvrage qui, je dois l’avouer sans suspens aucun, n’a pas été pour me déplaire. Vous l’aurez compris, la messe est déjà dite, ce bouquin m’a plu ! Vraiment ! Pourquoi ? Je vais tenter de l’expliquer.

 

Un genre de livre nouveau, délivré par un éditeur tout récemment arrivé sur la scène.


Sword Art Online est en effet un light novel, genre connu au Japon qui l’est pourtant bien moins de par nos contrées. La philosophie de ce type de publication ? En résumé ? Une œuvre de base fixant les contours d’un univers et faisant, par la suite, l’objet de parutions « annexes » visant à détailler ce même univers, l’histoire du héros et tout ce qui pourra donner de la « matière », de la substance, à la trame initiale. Si les formats peuvent varier, les light novels restent globalement, selon les dires de nombreux connaisseurs,  courts. Ils s’adressent d’ailleurs généralement à un public de « jeunes adultes ». Pour plus d’approfondissement et pour les plus curieux, Journal du Geek a produit un papier particulièrement intéressant sur le sujet et l’arrivée du phénomène en France ici.

Ofelbe, l’éditeur, a d’ailleurs surfé sur l’engouement en adaptant 2 séries que l’on pourra qualifier, en toute bonne foi, d’assez « commerciales » : Sword Art Online (SAO) et Spice & Wolf.
Avec SAO, la maison d’édition tape d’ailleurs un grand coup, ce qui, n’en doutons pas, ne saurait que contribuer à la réussite de la diffusion du genre dans l’hexagone et ce, pour notre plus grand plaisir. En effet, Ofelbe nous délivre un ouvrage concernant le premier « arc » de la saga : Aincrad, regroupant les deux premiers tomes publiés chez les tokyoïtes que l’ouvrage distingue en 2 « parties ». La chose est particulièrement intelligente puisqu’en regroupant ces deux tomes au sein d’un seul, l’on se retrouve avec la trame « globale » du premier univers de SAO, puisque oui, l’aventure de notre héros « Kirito » se déroulera dans des univers fictifs pluriels. Expliquons-nous via ce petit résumé délivré en introduction du livre :

« L’Aincrad, une forteresse de roches et d’acier composée de cent étages. A l’intérieur, on trouve plusieurs villes, de nombreux villages et autres bourgs de petite taille, mais aussi des forêts, des plaines et même des lacs. Chaque étage est relié aux autres par un seul et unique escalier, mais sa découverte et son accès sont gênés par l’aspect labyrinthique de l’endroit et par le danger dû aux monstres qui y rôdent.
Les joueurs doivent se frayer un chemin à travers les différents niveaux pour parvenir au sommet en éliminant les puissants « boss » uniquement à la force de leurs épées.
Outre les combattants, il y a aussi des artisans : forgerons, cordonniers ou tailleurs. Il est possible également d’apprendre à pêcher ou à cuisiner, et même de s’initier à la musique.
L’aventure n’est pas la seule option qui s’offre à eux dans ce vaste monde virtuel ; ils peuvent littéralement choisir leur mode de vie 
L’Aincrad sert d’Arène à Sword Art Online, le premier VRMMO du genre ».

VRMMORPG pour Virtual Reality Massive Multi Online Role Playing Game. En français, pour résumer ? Nous sommes en 2022 et ce que nous propose Sword Art Online, c’est l’expérience d’une réalité virtuelle, rien de plus que cela. On ne joue plus à un jeu, on est le jeu. On ne joue plus un personnage, on est un personnage. En sommes, le stade ultime de l’émulation vidéoludique, de la simulation de vie. Le rêve de tout passionné de jeu vidéo. Le rêve ? Si tant est que le jeu se limite à en être un...

De fait, pour « Kirito », comme pour les 9999 autres joueurs des premières heures de ce jeu révolutionnaire, le jeu n’en est in fine plus un… Le créateur les bloque en effet au sein de ce dernier, toute tentative de déconnexion extérieure, comme de mort au sein du jeu, se soldera par une mort dans la réalité. Le seul échappatoire ? Gravir les 100 étages de cette forteresse et venir à bout du dernier boss ! Pas très original me direz-vous… Scénario assez classique ! Pour autant l’intérêt du livre réside bien dans cette trame scénaristique pourtant classique.

 

Une trame scénaristique pour le moins classique pourtant forte de nombreux points positifs.


L’auteur en partant de cette idée simple réussit fondamentalement à captiver son lectorat. En effet, l’intérêt premier de ce livre c’est qu’il questionne sur la notion de réalité.

De fait, le paradoxe de cet univers c'est que les personnages se retrouvent dans une "réalité fictive" (vous me pardonnerez ce néologisme qui a pourtant tout son sens), les personnages sont des personnages donc mais questionnent leur humanité plus que ce qu’ils pourraient le faire dans "leur" réalité. La question existentielle de la vie et de la mort y est omniprésente, rappelée de manière récurrente, comme un leitmotiv même pour certains personnages. La chose est tellement vraie que ce monde fictif en est devenu, in fine, une réalité plus réel que la réalité! Asuna, seconde héroïne, en témoigne tout au long du livre.

Les personnages s'interrogent même sur la réalité de leur sentiment. L'un des personnages de la seconde partie de l'ouvrage, dont je tairais le nom pour préserver le suspens, l'illustre lui aussi parfaitement.

Clairement, c’est l’empathie dont j’ai pu témoigner qui m’a saisi. De bout en bout, j’ai pu m’identifier aux différents personnages, si ce n’est dans leurs comportements, au moins dans leurs émotions, qui sont d’ailleurs, à mon sens, particulièrement bien retranscrites.

 

Une traduction impeccable accompagnée de superbes illustrations.


A ce titre, il est important de souligner la qualité de la traduction qui, très sincèrement, m’a épaté. Il est parfois malaisé d’adapter des œuvres étrangères. Les codes littéraires ne sont pas les mêmes, les cultures n’étant pas toujours transposables mais là, l’affaire a été menée d’une main de maître et nous ne pouvons que nous en réjouir.

Les illustrations glissées dans l’ouvrage sont elles aussi de qualité, elles permettent de donner une « réalité » aux différents personnages, de se faire une idée de leur physique, de leur esthétique, de « donner un corps à leur âme »  qui transparaît parfaitement tout au long des 500p.

 

Une deuxième partie à l’intérêt discutablement discutée.


Si j’étais initialement sceptique quant à la plus-value que pouvait apporter la deuxième partie de l’ouvrage à l’œuvre principale, la lecture des différentes « nouvelles » m’a foncièrement plu. Je l’ai d’ailleurs dévorée en une petite après-midi. 

Elle apporte un réel plus à la trame principale, donne du relief aux différents personnages, Kirito en tête bien-sur mais apporte également son lot de nouveaux protagonistes et nous permet de cerner davantage l’environnement dans lequel ces derniers évoluent, le climat propre à l’univers, son ambiance.

Sans gâcher le suspens, l’ouvrage se termine d’ailleurs, à mon sens, en véritable apothéose. La dernière « nouvelle » clôture parfaitement le livre et l’on se prend à regretter de l’avoir lu si vite.

 

A lire ou non ?


En bref, Ofelbe a un fan de plus qui attend la suite des aventures de Kirito avec grande impatience. Un ouvrage à mettre entre toutes les mains donc. Un scénario classique mais qui gagne en profondeur au fil des pages, qui questionne même. On ne demande, en conclusion, une fois arrivé à son terme, qu’à en avoir davantage et après tout, n’est-ce pas tout ce qu’on demande à un livre lorsqu’on le lit ?

dimanche 8 février 2015

Comment sommes-nous devenus si cons ? - Alain BENTOLILA

 

Un ouvrage posant de bonnes questions !


Titre aguicheur, racoleur, diront certains, la formule est aisé, la rhétorique, rodée, le marketing, clairement pensé. Le titre, comme le sous-titre d’ailleurs (« Le cri de colère d’Alain Bentolila ») est explicite, son contenu n’y déroge pas. Et c’est très bien ainsi.

« Comment sommes-nous devenus si cons ? ». Dès la première de couverture, l’auteur ne fait pas dans la dentelle. Il laisse présager un discours « franc du collier », sans faux-semblant ni détour et, clairement : on en a pour notre argent ! L’auteur dénonce, critique, accuse même parfois. L’Internet, la télévision, les politiques, les choix, passés ou présents, faits en termes d’éducation,… tous les « vecteurs » y passent…

L’auteur pose les bonnes questions. Oui, les jeunes français établissent un recul culturel, intellectuel diront les plus critiques, clairement identifié et identifiable. Le « socle des connaissances communes » ne cesse de s’appauvrir au fur et à mesure que passent les révisions de programmes, l’esprit critique se perd, l’analyse véritable, celle poussant au débat raisonné plus que passionné, n’est plus qu’un mirage, en témoigne les différentes émissions politiques. On le constate sans cesse, que ce soit sur les plateaux de télévisions, dans les universités ou les soirées autour d’une bière. Les discours type « café du commerce » y prospèrent, les formules toutes faites, tirées d’articles pas plus éclairés que leurs auteurs y règnent en maître. En bref, l’effort de réflexion des français est en chute  libre, laissant place à l’instantanéité du "savoir Internet", non sans être favorisé par l’avènement des smartphones ! Mais pourquoi ? Quels sont les raisons à ce manque d’effort de réflexion ? Comment en sommes-nous arrivés là ? Voilà ce que l’auteur nous promet ! Une réponse à cette question essentielle restant non moins complexe : « Comment sommes-nous devenus si cons ? » ! Parce que oui : elle est essentielle !

 

Un argumentaire solidement ficelé.


Et sur ce point, l’auteur ne peut être incriminé. Il répond clairement à la question qu’il nous pose. Tout son propos s’y attache et s’organise d’ailleurs aussi simplement qu’efficacement. Chacun des huit chapitres traitent, à son échelle, selon ses codes, d’un élément de réponse que souhaite mettre en exergue le professeur de linguistique. Pas de confusion d’ailleurs, l’on traite là de « connerie » pas de régression « intellectuelle ». Les français ne sont pas « plus bêtes » qu’auparavant, juste « plus cons ». La limite restera poreuse pour certains mais mérite pourtant, à mon humble sens, d’être ici évoquée.

 

Une réponse qui aurait mérité une certaine modération.


Quoi qu’il en soit l’auteur nous répond ! Ainsi, si la démarche ne peut être qu’applaudie, la teneur du contenu, elle, peut souffrir certaines critiques. J’aurais à ce titre personnellement souhaité, une plus grande « modération » sur certains points d’analyse.

Le propos tient en effet davantage, dans le cadre de certains chapitres, notamment ceux faisant état de l’usage fait de l’Internet et de la Télévision, du pamphlet que de l’argumentation. L’auteur dénigre par exemple sans vergogne aucune, ni même véritable raisonnement logique d’ailleurs, la « superficialité » des programmes télés, mais la logique est là que l’homme tient pour nécessité, parfois, que de se divertir sans pour autant en tirer un quelconque avantage cérébral. Chaque être humain ne tirant pas satisfaction des mêmes choses, Claude Lévi Strauss l’expliquant dans Triste Tropique, la superficialité, au même titre que les activités cérébrales, permet de parvenir à un certain et impératif équilibre en termes de bien-être.

L’incrimination du jeune réseau social qu’est Facebook sur son incapacité, « par nature », à « forger une intelligence collective » alors même que l’auteur reconnaît que c’est bien ce même réseau qui « a [effectivement] permis le succès des révolutions arabes » est, elle aussi, clairement discutable. De fait, l’avènement de ce type de moyens de communication étant fondamentalement récent, on ne saurait condamner ce dernier à ne pas avoir su faire, en moins d’une décennie, ce que des sommets diplomatiques et autres organisations internationales ne parviennent, elles non plus, pas à mettre en place depuis près d’un siècle… Des conclusions définitives aussi hâtives ne peuvent qu’être remises en cause lorsque l’on fait preuve d’un minimum d’honnêteté intellectuelle.

L’auteur fait ainsi montre, à plusieurs reprises, de partis pris idéologiques qu’il m’est impossible de taire et que je ne peux en ce sens accréditer.  Ces deux exemples, parmi bien d’autres d’ailleurs, représentent ainsi autant de symboles, que de symptômes d’ailleurs, du relatif manque de tolérance dont l’auteur peut faire montre sur certains sujets. Il apporte ainsi des réponses qui lui sont propres et personnelles. A chacun, ensuite, de faire le tri et d’y trouver son compte, ce qui finalement, donne du crédit à sa volonté première : la nécessité que de faire preuve d’esprit critique. Et c’est bien comme cela que ce livre se doit d’être lu : comme un recueil de réponses personnelles, subjectives par essence donc, à ce mal français que l’auteur nous décrit.

 

Un sujet fondamentalement passionnant et traité de manière très pertinente : le rôle du « religieux ».


Rien ne présageait que l’auteur traite ce sujet avec autant d’ouverture et de tolérance alors même que, jusque-là, ces deux éléments semblaient cruellement faire défaut à son jugement. Mais l’affaire est là. Monsieur Bentolila nous livre une réflexion de très grande qualité, autant sur la forme que dans le fond, sur le rôle du religieux dans la question qu’il nous pose. Et c’est là le plus beau chapitre que ce livre nous offre !

Un hymne à la tolérance, voilà ce dont l’auteur nous fait cadeau ! Un hymne à la tolérance qui devrait être lu par tous, parce que reflétant, je pense, la réalité du problème français face à l’entrisme du fait religieux dans la société qui nous est contemporaine. Le sujet est, là aussi, malgré la difficulté de la tâche, traité de front, avec, on le ressent à la lecture, une réelle franchise et une véritable honnêteté. Les pages 176, 177 et 178 du livre (« Et le désespoir de n’être rien conduit à la crédulité imbécile et à la violence aveugle ») restent ainsi d’une froide fulgurance ! Sincèrement ! Rien que pour cela, l’ouvrage se doit d’être lu.

 

A lire ou non ?


En conclusion ? Une expérience de lecture assez paradoxale mais non sans intérêt. Loin s’en faut. Manquant à mon sens clairement, pour ne pas dire cruellement, d’ouverture, voire même de tolérance concernant certains sujets, notamment ceux relatif à l’usage fait d’Internet et de la télévision, il n’en reste pas moins particulièrement éclairé sur d’autres, à l’image par exemple, vous l’aurez aisément compris au regard de mon propos, du dernier chapitre traitant du rôle du « religieux ». En conclusion cet ouvrage vaut clairement le détour. Parce que, facile d’accès, parce que posant des questions méritant d’être posées, il vaut d’être lu. Toutefois et nous ne pouvons d’ailleurs que donner raison à l’auteur, tout ce qui y est écrit ne doit être lu comme une « vérité universelle ». L’auteur s’indigne sur le manque d’esprit critique français, sur le manque d’analyse aussi,  ainsi, pour lire cet ouvrage est-il nécessaire que de suivre son bon conseil et d’en faire montre.

En résumé, un ouvrage qui pose de bonnes questions et apporte certaines « pistes de réponses » plutôt pertinentes… « Pistes de réponses » parce qu’elles sont, selon moi très personnelles et qu’elles ne sont partageables, sur certains points, que de manière très discutable.

 A. BENTOLILA, Comment sommes-nous devenus si cons, First, 2014, 189 p.

vendredi 23 janvier 2015

Merci pour ce moment - Valérie TRIERWEILER

 

Une actualité fraîchement bouillante.

Je finis de lire aujourd’hui même, ce livre dont on reparle, à l’heure où j’écris ces lignes même, avec tant de passion, faute, peut-être, aux récentes interviews données par l’auteure Outre-Manche. Les passions… Parlons-en ! Ce livre les a autant déchaînées qu’exposées ! De fait, tout le monde a parlé de cet ouvrage. En bien, en mal, en intelligence ou non… Quoi qu’il en soit, personne n’est resté de marbre ! Comment en aurait-il pu être autrement d’ailleurs ? Les confessions passionnées d’une ex-première dame ne pouvaient qu’attirer les fouler et attiser les curiosités. Le tapage médiatique n’arrangeant, en outre, pas vraiment.

C’est bien d’ailleurs face à ce tapage que m’est venue l’envie de lire ce livre. Chacun allant de son petit commentaire, positif ou négatif, chacun interprétant les lignes écrites par l’ex première dame d’une façon ou d’une autre (souvent d’ailleurs bien différente), il m’était impératif que de me faire une opinion personnelle sur ce livre ô combien polémique.

Les lignes que vous allez lire, la chose mérite d’être précisée avant toute critique, ne reflèteront en ce sens que mon avis propre, subjectif par nature, discutable par essence,  mais mon avis tout de même. Aussi, vous serez seul juge d’en apprécier, ou non, la teneur.

 

L’illégitimité, un thème particulièrement récurrent.

Pour commencer cette « critique » je tenais à aborder une thématique particulièrement récurrente de cet ouvrage : l’illégitimité. Celle de l’ex-première dame. Comme pour illustrer mon propos, l’auteure l’explique d’ailleurs fort justement dans son chapitre 10, cette notion d’illégitimité apparaît comme un « leitmotiv » tout au long des lignes de son livre… Elle est le fil conducteur de son témoignage, son point de départ même. L’illégitimité de son statut de première dame, celle de son accession dans cette strate sociale voir même, tout bonnement, de la publication de son ouvrage…

On ressent, tout au long de ces lignes, l’impression de Mme Trierweiler que de ne pas être à sa place. On convient d’ailleurs assez aisément que l’opinion publique, comme les médias d’ailleurs, ne l’ont pas aidé à prendre ses marques…  Mais tristement, ce n’est pas ce qui m’est resté à l’issue de son témoignage. Davantage que cette illégitimité, c’est la crédulité de l’auteure qui m’a intrinsèquement marqué… une telle crédulité, qu’il m’a d’ailleurs été possible d’en douter…

 

Une crédulité manifeste frisant d’ailleurs même parfois avec une certaine forme d’hypocrisie.

Plusieurs fois en effet, ce sentiment d’hypocrisie m’a saisie. Je m’explique.

 

Concernant son histoire d’amour avec le Président tout d’abord :


L'auteure témoigne en effet, à plusieurs reprises, d’une relative incompréhension face à « l'affaire Gayet » et ce, en rapprochant pourtant cette dernière à la situation qu'elle a pu vivre lors des premières infidélités de François Hollande dont Ségolène Royal a été l'objet...

Ce qui étonne effectivement, au travers de ce témoignage, c'est la crédulité d'une femme pourtant instruite et renseignée sur la chose... Un homme ayant été infidèle une fois pourrait-il ne plus jamais l'être alors ? On se plaît en effet à le croire : les individus changent ? Mais comment réfuter cette hypothèse avec tant d’ardeur ? Comment croire un homme que l’on a soit même « détourné » de l’amour de sa femme ? Les bras lui en tombe mais n'était-ce pas, en un sens, à prévoir? L’adage ne parle-t-il pas d’un « arroseur arrosé » ?

En outre, l’ex-première dame n’aurait intrinsèquement pas été, selon elle, responsable de son amour avec François Hollande… Elle reporte d’ailleurs la faute de la première infidélité du futur président sur Ségolène Royal elle-même puisque, selon elle « L’idée d’une histoire sentimentale avec François Hollande ne l’avait pas effleurée. L’irruption de Ségolène Royal, qui [redoutait] par-dessus tout cet amour, [étant venue], sans doute, le rendre possible à [ses] yeux » ou bien encore sur François Hollande lorsqu’elle explique qu’ « [elle a] résisté le plus longtemps possible à cette attirance entre François et [elle]. [Que] c’est lui qui était pressant, lui qui a fait basculer [leur] amitié amoureuse en amour-passion » et ce, alors qu’elle explique quelques ligne plus loin qu’elle « […] sais qu’elle lui plait, [que leur] complicité est évidente, [qu’] elle est comme une amitié particulière, un peu appuyée, qui flirte parfois délicieusement avec l’ambiguïté ».

 

Concernant les critiques qu’elle émet à son encontre ensuite :



Tout au Long de son livre, elle accuse en effet le président d'obérer le caractère public de ses fonctions par des faits privés (on se rappellera, pour exemple de l'affaire du tweet de Ségolène Royal) mais ne participe-t-elle pas, elle aussi, a cet entrisme du privée dans la sphère publique dans les faits qu’elle nous relate tout au long de son ouvrage ?

En cédant à ses pulsions, à ses accès de colère, en tweetant pour faire réagir, cette dernière se rend elle aussi coupable d'un manque de sens général... Pire encore, elle en oublie son rôle « politique » de première dame... De fait, pas de statut... Certes... Elle l’évoque d’ailleurs à juste titre dans son ouvrage… Mais un indéniable devoir moral tout de même... Celui de représentation, à son échelle, de l'Etat français...

Tout le paradoxe est ainsi là : elle critique la surmédiatisation de la vie privée du Président mais s'y affère pourtant en publiant cet ouvrage avant le terme même du mandat présidentiel. Qu'on aime ou non François Hollande qu'on soit de gauche ou de tout autre bord politique, ce qu'on peut regretter de la publication de ce livre, à ce moment-là du quinquennat, c'est l'image ternie qui en résulte de celui qui représente notre pays...

 

Concernant sa propre vie enfin :


A plusieurs reprise dans son livre, elle explique n’avoir jamais calculé, jamais manipulé,… Elle explique en être arrivée là où elle en est par sa seule force de caractère, sa seule volonté, son acharnement et sa détermination… Mais, paradoxalement, nous exprime également que le monde du journalisme politique, de la politique elle-même d’ailleurs n’est que manipulation…

Elle l‘évoque en ces termes : « Dans le sérail, on est habitué aux non-dits, on sourit à ceux que l’on méprise, on médit dans l’ombre ».

Il est douteux et doutable, et c’est un sentiment qui m’a plusieurs fois saisi en lisant cet ouvrage, à juste ou mauvais titre, chacun jugera, que l’ex première-dame n'ait pas été au bon endroit, avec les bonnes personnes, sans une once d’opportunisme, sans calcul ni manipulation... La petite provinciale naïve venue d’une ZUP d’Anger serait arrivée là par hasard et ce, alors même qu’elle nous témoigne à plusieurs reprises, « manquer de culture politique, [manquer] de culture tout cours » ?

En témoignage de ce doute qui reste en bouche après lecture de ce : « J’ai aussi quelques entrées à l’Élysée. Ce n’est pas fréquent pour une jeune journaliste. Les plus anciens de Match en charge de la politique ne me voient pas arriver d’un bon œil. Six mois plus tard, le légendaire patron du journal, Roger Thérond, m’engage, au plus bas de l’échelle, comme rédactrice ». Des entrées à l’Elysée sans même être encore, professionnellement parlant, qui que ce soit ? La « virginité morale » de l’ex-première, est en ce sens assez discutable selon moi. Il ne s’agit pas d’un procès d’intention, loin de là. Il est tout à l’honneur de l’ex-première dame d’avoir une carrière telle que la sienne compte tenu de son milieu social d’origine, loin d’être favorable et dont elle parle à plusieurs reprises dans son livre mais, crédule serait celui qui s’imagine pouvoir pénétrer les arcanes du monde politique sans « copiner » à un moment ou un autre de sa carrière. C’est cela qui est à mon sens critiquable, le manque relatif d’honnêteté  intellectuelle là où la réalité des choses est pourtant connue de tous.

Ainsi, l’idée, à la lecture de ses lignes, m’a semblé être de séduire le lecteur, d’emporter sa compassion, d’attirer son attention sur la volonté de l’auteure que de devenir « quelqu'un » dans un monde qui ne l'a fondamentalement pas gâté socialement parlant, que de s’émanciper de sa « catégorie » sociale, que de « détruire son plafond de verre » pour reprendre ses mots...

Le « traumatisme » de son enfance dû à la condition sociale de ses parents semble aussi réel qu’avéré mais c'est le motif de ses confessions qui rend la chose discutable à mon humble sens... J’ai personnellement ressenti une certaine volonté  de convaincre en lisant ce livre... La volonté de faire comprendre des choses qui justifierait ses actes... Ceux du tweet, ceux du baisé demandé lors du discours post-élection,…

 

Le pouvoir de l’amour défait par l’amour du pouvoir : l’envers du décor.

Ce livre nous dresse en outre un portrait peu flatteur du président actuel : froid, indifférent, colérique, parfois même cruel (cf : les « sans dent » ou la « famille Massonneau pas très jojo » dont on a suffisamment parlé dans les médias). Le président normal, au travers de ces lignes est bien malmené…

Pour autant ce qui devait conduire à un réel désamour de ce dernier n’a pas eu l’effet escompté chez moi… Sans avoir été jamais proche de François Hollande, ces lignes, supposées le discréditer ont eu sur moi l’effet inverse… elles ont suscité, à certains moments (certains passages traitant de son comportement étant tout bonnement insoutenables…) une certaine forme de compassion… Résultant, notamment, je pense, de la charge de la responsabilité politique pesant sur l’homme. Ce qui m’a davantage étonné c’est le manque d’empathie dont a pu faire preuve l’ex-première dame lors de certains passage, notamment lorsqu’elle raconte le soir de l’élection du futur président :

« Le temps presse, la foule amassée place de la Cathédrale attend depuis déjà plusieurs heures. Je demande à François de prendre le temps pour quelques photos car ce moment est unique. Mais François s’agace et me rembarre violemment. Je ne comprends pas sa réaction. Cette minute qui aurait dû être un instant de bonheur vient d’être gâchée. Je vais m’enfermer dans la salle de bains attenante. Pour moi aussi, la tension a été très forte et se relâche ». La « tension a été forte »… La « tension est forte » serait plus approprié… Etre élu ce n’est pas la fin de quelque chose… C’est bien davantage le début ! Ce qui choque, en l’espèce, c'est l'incapacité de l’ex-première dame de faire montre d'empathie... Il y a le stress d'un discours qui marquera l'histoire, celle du nouveau Président mais aussi, et surtout, celle de la France mais encore parce qu'humain, surement, la crainte de jours difficiles malgré la « victoire »... Des sentiments d'une réelle ambivalence en somme qui peuvent pousser l'homme surement déjà à fleur de peau à l'agacement et qui pourrait en ce sens expliquer le geste...

 

A lire ou non ?

J’aurais très sincèrement aimé ne garder en mémoire, que le bon qui ressort de ce livre. L’investissement humanitaire, associatif, les témoignages de ces femmes violées de République Démocratique du Congo lorsque l’ex-première dame visite l’hôpital du docteur Mukwege, le témoignage de ce jeune handicapé fan de Philippe Croizon, son modèle, ou bien encore la narration de la journée pour les « Oubliés des Vacances ». Mais la dure réalité, c’est que le ton, malgré ces sursauts de compassion, d’humanité, vire trop souvent à la vengeance… Plusieurs fois l’on a envi de céder à la compassion, de faire montre d’empathie, de comprendre cette femme trahie, humiliée publiquement, mais la vengeance rend la chose malaisée, elle ne permet pas de passer outre la colère exprimée, ressentie même… Le sentiment est là que ce livre n’a pas été écrit pour soulager sa tristesse mais pour laver l’affront du Président, comme pour le blesser là ou l’ex-première dame identifie une de ses faiblesses : son aura auprès de « l’opinion publique ».

L’ex première dame parle, de manière récurrente, de dignité… n’aurait-il pas été plus digne alors, pour elle, que de mettre un terme à cette spirale de l’humiliation… encore aujourd’hui même cette dernière rajoute au spectacle dans ses interviews rendues Outre-Manche… c’est tout cela qu’on regrette à la lecture de ce livre… c’est l’affront fait à la France pour laver un honneur personnel… C’est l’oublie d’une nation pour recouvrer, d’une triste manière, fut-elle d’ailleurs recouvrée, une malheureuse dignité …

En conclusion : le lire oui, l'acheter non. De fait, acheter un tel ouvrage c'est donner du crédit à de telles pratiques qui, qu'importe la souffrance « du plus lésé des deux », ternissent l'image de notre représentant et, par extension, celle de notre pays. L'ouvrage, publié à l'issue du quinquennat, en tenant compte de l'éthique et de la déontologie politique, fussent-t-elles existées un jour, du sens commun même, aurait été bien plus apprécié (mais moins médiatique et donc moins attrayant d'un point de vue mercantile diront certains...).