jeudi 30 octobre 2014

Le fil de l'épée - Charles DE GAULLE


« Tout bon officier qui se respecte doit connaître et s’imprégner du « cultissime » Fil de l’épée du non moins célèbre Charles de Gaulle  » m’a dit, fièrement, non sans une pointe d’orgueil, un de mes camarades de section lors de mon bref passage à Saint Cyr Coëtquidan. La chose est connue et reconnue dans le milieu des armes. LE général a forgé nos armées, il les a marquées de son empreinte, il les a façonnées à son image, les a irradiées de ses réflexions, de ses conceptions. Aussi, m’était-il tout indiqué que de commencer ce blog par cet ouvrage.
Mais là n’est pas le propos. 

Un ouvrage traitant avant tout de la France.

Ecrit dans des années marquées par le pacifisme, enfant de la grande tuerie qui vient d’advenir, le Fil de l’épée, c’est d’abord, à mon humble sens, un ouvrage de réarmement moral dans une époque incertaine, marquée par la mélancolie du corps militaire, l’attentisme et la nostalgie de l’âge d’or, fut-t-il alors. Tout au long de l’ouvrage, la chose transparaît, avec fulgurance et panache. Sans jamais démordre, le commandant d’alors, comme l’évoque Hervé Gaymard en 4ème de couverture, « comme dans tout amour, aime la France autant pour ses défaut que pour ses qualités ». Il en fait là l’expression même de ce livre.

« Publié en juillet 1932 […] le Fil de l’Epée reprend pour l’essentiel trois conférences prononcées à l’Ecole supérieure de guerre en 1927 » titre la 4ème de couverture. La chose est essentielle, car permet de situer, temporellement, l’état d’esprit de l’auteur, qui a 37 ans, jeune officier supérieur, nous fait déjà étalage de sa grande lucidité, de son esprit critique et de ses réflexions.

Du commandement des hommes par des hommes.

L’ouvrage se décompose en 5 parties, avant-propos exclu, chacune évoquant un des traits, si ce n’est interdépendants, au moins indissociables du « Fil de l’épée » (de l’action de guerre, du caractère, du prestige, de la doctrine, le politique et le soldat). Parce que l’histoire est là : l’affaire militaire est, avant toute autre chose, une question d’interdépendance.

Le livre commence d’ailleurs, en ce sens, par une analyse de la guerre comme chose globale (De l’action de guerre) pour se recentrer ensuite, sur une analyse plus « humano-centrée » en apposant diverses réflexions sur la notion de commandement » (du caractère, du prestige) pour enfin finir sur les bases et fondamentaux de toute action militaire (de la doctrine et le Politique et le soldat).

La structure du propos n’est pas anodine, loin s’en faut. Pourquoi terminer par le rattachement du politique au militaire ? Parce que, comme le disait Georges Clémenceau, « La guerre est une chose trop grave pour être confiée à des militaires ». Expliquons-nous. L’auteur, militaire, reconnaît malgré tout l’heureuse réalité selon laquelle, toute action militaire doit avoir pour point d’orgue une volonté politique. La chose n’est pas sans conséquence.

De fait, il image par là le propos de Maurice Hauriou, selon lequel : « Ce ne sont pas les Institutions qui font les Hommes mais les Hommes qui font les Institutions ». Pour le Général,  le changement de cap, la réforme des armées, quelle qu’elle soit, doit passer, avant tout, par une volonté politique forte, au service de l’intérêt général.

En ce sens, l’ouvrage, ancien s’il en est, est intrinsèquement actuel. Le Général l’explique : « La rénovation de ce grand corps répond, comme toujours, aux conditions du moment ; mais l’évolution des institutions, la refonte de l’outillage, la réforme même des intelligences n’auront point d’efficacité s’ils ne se produit, en même temps, une renaissance morale ». Comment alors ne pas faire le parallèle avec la situation qui nous est contemporaine ? Ce que revendique le Général, c’est un changement des mentalités. Seule ces dernières sont susceptibles d’infléchir, à terme, les assertions personnelles et autres vindictes.

Une critique parfois emprunte de fatalisme.

Les assertions personnelles…  Autre sujet de prédilections du propos du Général. En effet, plusieurs fois dans l’ouvrage, on peut percevoir une certaine forme d’ « aversion » pour l’individualisme. En témoigne, pour preuve, les derniers mots de l’ouvrage : «  Il n’y a pas dans les armes de carrière illustre qui n’ait servi une vaste politique, ni de grande gloire d’homme d’Etat que n’ait dorée l’éclat de la défense nationale ».

Le général est par ailleurs très critique concernant l’aspect supposément méritocratique des armées. S’il considère effectivement qu’« une fois recrutés dans l’armée des hommes capables d’être des chefs, il s’agit de discerner leurs mérites et de faire en sorte que les meilleurs atteignent le sommet » il exprime pourtant tout au long de son discours que, pour reprendre l’expression d’Hervé Gaymard, « Le choix qui administre les carrières [,au sein des armées, semblent se porter bien] plus volontiers sur ce qui plaît que sur ce qui mérite ». Sur « ceux » qui plaisent, plus que sur « ceux » qui méritent n’aurait pas été incorrect…

A de nombreuses reprises, le futur général exprime comme une certaine forme de fatalisme sur divers sujets. Il en appel malgré tout au sursaut des consciences, au réveil des esprits, à « la renaissance  morale ».

Ce qu’il faut en retenir : A lire ou non ?

Le militaire De Gaulle, dans cet ouvrage exerce une analyse historique de l’armée et du commandement. Il pose la théorie puis l’image par des faits empruntés à l’histoire ou la littérature. Plein de références politiques et idéologiques, l’auteur, féru de philosophie, nous montre encore une fois quelle référence il a pu être et est d’ailleurs toujours dans la littérature politico/militaire. Traitant de sujets complexes, dans un style qui personnellement m’est appréciable mais qui pourra en rebuter certain, le futur général, sans vulgariser, permet aux non-initiés aux arcanes militaires d’en comprendre les difficultés d’appréhension, les tenants et aboutissants. Il qualifie le métier des armes sans l’idéaliser.

Particulièrement dans l’air du temps, l’ouvrage mérite donc une lecture ou relecture, à mettre en perspective de l’actualité bouillante. En bref, un vrai régal !

C. DE GAULLE, Le fil de l'épée, Perrin, Les Mémorables, 2010, 180 p.